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Causerie

Encore un nom illustre qu'il faut ajouter à la liste déjà si longue des écrivains qui finissent leur carrière dans la maison de fous du docteur Blanche !

Guy de Maupassant vient à son tour de subir les terribles atteintes de la paralysie générale, cette maladie en quelque sorte professionnelle des hommes qui demandent trop d'efforts à leur cerveau. L'auteur si robuste et si précis — et surtout si français dans sa forme savoureuse — de Pierre et Jean, de Notre coeur, et de tant de nouvelles classées au rang des chefs-d'oeuvre contemporains, est aujourd'hui interné dans un cabanon, avec la camisole de force...

C'est toujours une chose navrante de voir une âme humaine tomber dans le gouffre obscur de la folie. Mais combien plus déplorable encore, quand il s'agit d'un esprit d'élite, d'une intelligence rayonnante et productive.

Hélas ! il faut bien reconnaître que Guy de Maupassant était depuis longtemps un surmené cérébral. Déjà déprimé par une incessante production, par une dépense continue de « matière grise » comme disent les physiologistes du cerveau, il avait eu recours, pour forcer l'inspiration et la pensée rebelles, aux funestes excitants qui s'appellent la morphine et l'éther. Comme Baudelaire, il avait vécu longuement dans ces paradis artificiels et meurtriers que procurent l'opium et le haschich. Ainsi stimulée, la faculté créatrice se réveillait en lui, plus ardente et plus généreuse.

Mais la nature réserve à de tels excès de cruels lendemains. Peu à peu le système nerveux ne réagit plus sous les drogues; quotidiennement les doses augmentent, jusqu'au jour de la complète intoxication, prélude, infaillible du grand naufrage final où meurent la raison et la volonté.

J'ai rencontré Maupassant cet été, à Aix-les-Bains, chez le docteur Cazalis. Je le vois encore avec sa solide carrure sanglée dans un complet de flanelle blanche. Il venait de Divonne, où il avait été demander quelque soulagement aux douches glacées. Mais malgré un régime sévère, malgré son apparence de vigueur physique, on le sentait atteint. Cette belle intelligence était déjà voilée. Il ne parlait plus guère dans la conversation que de ses souffrances et de ses remèdes, et encore arrivait-il souvent que sa langue hésitante trahissait la pensée- incertaine et n'achevait pas le mot commencé. Tous ceux qui le virent alors ont pressenti la catastrophe de la semaine passée, qui est un si grand deuil pour les lettres. Car, si la science parvient à sauver pour un temps son être physique, il paraît malheureusement trop sûr que Guy de Maupassant n'écrira jamais plus...

Malgré l'échec piteux de la fameuse tuberculine, la famille Koch fait encore parler d'elle. M. Pfeiffer, gendre du savant prussien, affirme avoir trouvé le microbe de l'influenza. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que tous les journaux de Paris font une réclame énorme à cette nouvelle découverte, comme si nous n'étions pas payés pour être désormais sceptiques devant le chant du Koch.

S'il s'agissait d'un savant français, la presse parisienne serait assurément plus circonspecte. Mais tout ce qui vient de l'étranger a tant de séductions ! L'exotisme nous envahit littéralement. Comment expliquer, sans cela, toutes les fleurs dont on couvre aujourd'hui le berlinois Pfeiffer, pour avoir découvert un microbe que le docteur Teissier, de Lyon, a isolé, cultivé et décrit depuis plus d'un an déjà ? Seules ou à peu près, les feuilles lyonnaises ont relaté ces études si intéressantes et si neuves. Il n'a manqué au docteur Teissier pour qu'on donnât à ses travaux tout le retentissement qu'ils méritent, que d'appartenir à l'université de Berlin ou de Vienne plutôt qu'à celle de Lyon.

Quoiqu'il en soit, il n'est pas mauvais de rappeler dans cette chronique lyonnaise que notre compatriote a la priorité sur M. Pfeiffer. Il continue d'ailleurs ses recherches sur le dangereux bacille qui fait actuellement tant de ravages. Je serais ravi, pour ma part, que ses travaux aboutissent promptement à un résultat thérapeutique, car je connais peu de gens qui soient aussi souvent et aussi désagréablement « influenzés » que votre serviteur.

Encore une maison hantée à Paris, rue du Couëdic. L'esprit se manifeste par des bruits inexplicables et par un tas de farces qu'il joue aux locataires, par exemple en brisant la vaisselle dans les placards. Mais, chose singulière, dès qu'on appelle la police l'esprit se tient coi. Cette crainte des gardiens de la paix me rend sceptique sur la sincérité des phénomènes. D'autant plus que le concierge demande un fort pourboire aux spirites désireux d'entrer en conversation avec le mystérieux frappeur. Ce qui laisse à supposé qu'il n'y a dans l'affaire d'autre « esprit » que le sien, lequel consiste à soutirer ingénieusement quelque argent aux imbéciles.
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